À NOUS PARIS
Orient multiple
De retour chez nous après huit ans d’absence, les Ballets libanais Caracalla livrent cette semaine une époustouflante interprétation du conte des Mille et Une Nuits. L’occasion rare, bien au-delà du décor et des costumes chatoyants, de découvrir la créativité et le talent de la compagnie de danse la plus célèbre du Moyen-Orient.
S’il dit qu’il doit son étonnante énergie à la pratique quotidienne du sport, on imagine bien que c’est aussi son insubmersible envie d’inventer et de se renouveler qui fait qu’Abdel-Halim Caracalla mène sa troupe avec la même exigence depuis des décennies. Car c’est bien il y a un demi-siècle maintenant, que l’ex-athlète devenu danseur, qui a entre autres fait ses gammes auprès de la grande Martha Graham, a choisi de fonder à Beyrouth le premier vrai théâtre du genre de la région moyen-orientale. Une curiosité devenue une gageure dès le début des années 70, où, à l’heure de son premier spectacle reconnu internationalement, il s’est agi de continuer à travailler dans un contexte d’abord instable, puis dans un pays plongé dans la guerre civile. De ces années difficiles qui semblent n’avoir pourtant jamais entamé sa détermination, le chorégraphe parle peu, préférant raconter son travail et répéter à l’envi son leitmotiv : « L’alphabet de la danse change avec le temps ». Une conviction précoce qui lui aura donné l’idée géniale de toujours mêler, dans une proportion à géométrie variable, l’Orient et l’Occident autant que le classique et le moderne au sein de ses créations. Et ce, même si cela nécessite, comme il le reconnaît, une grande adaptabilité des danseurs. Car tout est toujours en évolution chez Caracalla. Pour preuve, les costumes, conservés depuis les origines dans un entrepôt où se côtoient aisément combinaisons futuristes et tenues traditionnelles berbères, mais où l’on constate surtout qu’aux teintes sombres d’autrefois, la couleur s’est peu à peu imposée, en même temps que la compagnie se piquait de revisiter Shakespeare et parcourait le monde. Ainsi en est-il aussi de la musique des spectacles, qui sur une idée soufflée un jour par Franco Zeffirelli à son ami Caracalla, réinterprète de grands thèmes occidentaux avec des instruments orientaux, à l’instar du Boléro de Ravel, qui pour moitié avec le Shéhérazade de Rimski- Korsakov, sera la toile sonore des Mille et Une Nuits à Paris. Celles-là auront été respectivement mises en scène et chorégraphiées par Ivan et Alissar Caracalla, qui travaillent désormais avec leur père, dans ce que tous s’accordent à qualifier comme une famille plutôt que comme une troupe ou une école. Car à Beyrouth aussi, des milliers de jeunes danseurs formés chaque jour à la rigueur créative de la maison s’entraînent pour peut-être un jour intégrer la distribution d’un prochain ballet. Et interpréter, qui sait, le rôle de la reine de Saba ou celui du roi Salomon, dans le futur projet d’Abdel-Halim qui n’en finit pas de voir plus loin.
Carine Chenaux
Octobre 2018